JE VOUS RACONTE DES HISTOIRES
Jeanne Leprince
Il y a. » C’est déjà un conte en soi, « il y a ». Et ce sont mes mots préférés. « Il y a », une invitation à rajouter ce qu’on veut, à imaginer des gens, une maison, une grange, un bœuf bourguignon trop cuit, dans une cuisine abandonnée, des couleurs qui piquent les yeux et des bruits de talons dans l’appartement du dessus. C'est comme Jacques-a-dit. C'est un jeu, et moi je joue à vous raconter des salades.
Enfin, là, il y a une histoire. La première que j’aie racontée en entier. La première qui ait coulé pendant des mois et des mois de mes doigts, et qui est devenue un roman. Depuis le temps qu’il fallait qu’ils sortent, ces mots… N’importe lesquels, et dans n’importe quel ordre, mais il fallait qu’ils s’impriment quelque part. Parce qu’à force d’avaler des livres depuis l’âge où l’on apprend à ne plus ingurgiter ses jouets, il m’en était rentré plein la tête. Des phrases, des piles de mots, des montagnes de phrases, des envies, des pulsions d’invention. Il y en avait tellement que les premières pages ont été difficiles à écrire. Ils se bousculaient tous pour sortir…
J’ai l’habitude de les retenir, les mots et les opinions. De raconter des choses sérieuses, ou peut-être pas du tout, sur un ton de grande personne. Dans les journaux, les radios, sur les sites ou les chaînes où je publie, on resserre les rangs, c’est bien normal, pas assez d’espace pour toutes mes palabres. Moi je les aime bien, les mots, je note dans un cahier quand j’en trouve un nouveau, et je le mets dans ma poche en attendant de pouvoir le ressortir. Alors, le jour où on m’a dit oui, où on m’a tendu une vraie page blanche avec un sourire curieux, mon cœur a fait des bonds.
J’ai commencé par poser ces trois tout petits-là, « il y a ». J’ai inventé n’importe quoi, écrit pour n’importe qui. Par gourmandise, parce que ça intéresserait quelqu’un, peut-être, parce que c’était permis, réclamé, magique. J'ai tartiné mon baratin, j'ai inventé jusqu'à plus faim. Et quand j’ai eu fini de barbouiller tout le désordre sur la première page, j’ai tout jeté.
« Il y a », c’est la possibilité de créer. C’est ce qui suit une proposition inouïe de vous écouter, c’est ce qui précède le merveilleux. C’est le plus petit groupe de mots qui puisse s’emporter partout avec soi, sur soi, dans soi, et qui me fait déjà frémir d’envie à l’idée que, bientôt, je pourrai les replacer sur une page et ouvrir alors un nouveau roman.