LE LIVRE ET LE TEXTE.
Pour que les auteurs continuent à exister, à écrire et à raconter, de nouvelles façons de lire doivent naître. De nouveaux formats. Nous devons redéfinir le livre de demain. C’est une mission difficile. Nous associons le livre à ce qu’il contient : le texte. Le texte est composé de mots, et les mots existaient avant l’invention de l’imprimerie. L’art de composer des histoires fortes également. Le texte contient des milliers de décisions à prendre, et des milliers d’images. Cette richesse infinie nécessite qu’on s’y consacre. Seuls les mots permettent le face à face unique et indépassable entre un auteur et un lecteur. La lecture est un des derniers espaces de pure liberté.
C’est pourquoi la priorité des éditions est de travailler avec les auteurs, et les accompagner tout au long du difficile travail qu’est l’aboutissement de leur pensée. Travailler sur les manuscrits avec persévérance, voir naître le roman, préciser sa forme et son contenu. Produire des récits originaux, avec la même tradition de soin que par le passé, et les mettre à la disposition du public en privilégiant les supports d’aujourd’hui.
L’avantage de ces supports : plus d’ouvrages, plus d’auteurs, plus de risques. Le temps consacré à l’édition reste le même : c’est le temps de la pensée humaine. La différence, c’est la diffusion instantanée, l’interaction toujours plus rapide avec le public, la disparition des intermédiaires, le dialogue avec les désirs et les besoins des lectrices et des lecteurs.
LE CHOIX DES LISEUSES ET AUTRES ÉCRANS
Il ne s’agit pas d’un combat. La liseuse ne "remplace" pas le livre, elle le complète. La liseuse permet de découvrir de nouveaux auteurs à moindres frais. De les faire vivre. De les inciter à continuer à raconter des histoires. La liseuse ne fatigue pas les yeux, elle ne sert à rien d’autre qu’à lire, son autonomie est de plusieurs semaines. La liseuse est la fille naturelle du livre, et la garantie de la pérennité de leur contenu commun. Les histoires.
Les satellites synchronisés que sont les tablettes et les smartphones ne font que renforcer l'écosystème des amoureux de la lecture. On peut lire n'importe où, n'importe quand. On ne perd plus jamais sa page. Pas plus que les éditeurs classiques ne sont pas mandatés par les imprimeurs, je ne suis au service de l’industrie. Qu’on ne s’y méprenne pas. Le crédo des éditions, c’est la passion de la littérature et des auteurs, et une conviction sur la meilleure façon de la faire vivre et de la transmettre.
C’est l’affirmation sans ambiguïté que sans littérature numérique, beaucoup d’auteurs de grand talent n’auront plus la possibilité d’être publiés, beaucoup d’œuvres intéressantes ne pourront plus voir le jour. Pour que vivent les histoires, reflets innombrables et indispensables de la diversité. Pour que toujours, quelque part, un enfant puisse comprendre le pouvoir qu'elles lui donnent.
PEUT-ON VOIR UN ARBRE DE DOS ?
Aux éditions Alain Adijès, nous avons la conviction que la photographie d’un arbre n’est pas une source aussi riche et puissante que la description d’un arbre dans un récit, surtout si elle est rédigée avec talent et sensibilité. L’équation est simple : le même arbre pour tous, ou un arbre par personne, nourrissant son imaginaire, son esprit et sa définition du monde. En vous écrivant ces lignes, j’ai déjà la sensation de vous raconter une histoire. Comment pourrait-il en être autrement ?
LES HISTOIRES SONT IMMATÉRIELLES
La civilisation numérique n’est pas une rupture. Il y a une vingtaine d’années, seuls quelques observateurs prévoyaient les possibilités infinies du réseau. C’était le « futur ». La vitesse exponentielle des prouesses technologiques, une forme comme une autre de « magie » pour le commun des mortels, a eu pour premier effet de démontrer une chose certaine : la civilisation naissante ne pourra pas se passer d’histoires. Le futur, qui est en soi une histoire, n’a qu’une idée fixe, une obsession immuable : prendre la place du présent. Avec le réseau, il a trouvé son allié le plus puissant.
Partout, sur chaque écran, à chaque instant, une histoire.
La narration peut prendre aujourd’hui des formes variées. La transmission orale est en pleine forme. Communiquer avec d’autres personnes à l’autre bout du monde, instantanément. Se raconter au jour le jour, partager ses émotions, promouvoir son image. Loin du rêve, c’est la réalité absolue dont nous ne pourrons plus jamais nous passer. Interfaces tactiles au jardin d’enfants. Tablettes dans les écoles maternelles. Cartables réduits à une interface et un stylet numérique. La bibliothèque universelle dans une poche de veste ou un sac à main. Tous ensemble reliés.
Le règne de l’imprimerie n’aura-t-il été qu’une parenthèse de quelques siècles ? Les images peuvent-elles détrôner les mots et imposer un nouveau langage universel ?